La folle journée des mots/Lisbonne à l'honneu
Le Nouvel Obs en ligne
(extraits)
par Odile Quirot

La folle journée des mots


Du 26 au 29 mai, pendant quatre jours, Toulouse va s’enivrer de mots. Romanciers, acteurs et chanteurs vont lire aux quatre coins de la ville des extraits de textes qu’ils aiment. Un acteur, un texte, un public: c’est le bel alphabet du théâtre. Lisbonne est la capitale littéraire à l’honneur de ce premier Marathon des Mots. Mots poétiques, parfois politiques et même érotiques figurent au menu d’un copieux festin qui pourrait s’appeler, selon le mot d’Alberto Manguel, «Ecouter lire». Un bonheur que nous invitent à partager quelques grands acteurs.


Maria de Medeiros dit Fernando Pessoa
«Lisbonne, cité mère éblouissante – et traumatique –, hante "le Livre de l’intranquillité" de Fernando Pessoa, et à chaque détour de cette ville je crois le voir passer. Je le fréquente depuis longtemps, et pourtant chaque fois que je le retrouve il me surprend. Il est toujours dans l’affirmation et son contraire, dans le grand art de la contradiction. Pour une comédienne, l’identification avec Pessoa et ses hétéronymes est naturelle. J’ai un faible pour Alvaro de Campo: il me semble avoir connu, au cours de mon adolescence, cet ingénieur de formation devenu poète urbain et tourmenté. Et bien sûr tous les poètes portugais ont le fado dans la tête, ou ont écrit pour lui! Chez nous, la musique est attentive aux poètes, et réciproquement. Misia par exemple commande ses textes à des poètes. Et au Portugal, la poésie est lue par le grand public.»
Publicité
Jacques Bonnaffé dit Eugenio de Andrade
«Je me méfie du sérieux des grands textes. J’aime les dynamiter. Pour moi, la poésie est physique, vitale, immédiate. Je me suis promené longtemps avec Rimbaud dans mon sac à dos, aujourd’hui j’ai toujours mon Jacques Darras sous le coude, ou quelques poèmes d’Eugenio de Andrade. Ce romancier et poète portugais possède une écriture vertigineuse, empreinte de beaucoup d’intériorité et d’une dérision fabuleuse qui n’a rien à voir avec le jeu d’humour, ou le bon mot à la française. Il est solaire, terrien, il sait saisir l’allégresse et la mélancolie des bonheurs fugitifs. Chez Fernando Pessoa aussi, on peut aller dénicher, en prenant la phrase à l’extrême de sa colère intérieure, cet humour sur soi.»


Alain Libolt dit José Saramago
«Quand j’ai découvert "le Dieu manchot", j’avoue que j’ignorais tout de José Saramago, pourtant prix Nobel de littérature 1998. Dès les premières pages, j’ai eu envie de me transformer en moine tant la langue était flamboyante. Et quelle imagination! Ce récit épique, aussi baroque que Lisbonne à cette époque, est très touffu, écrit avec des phrases interminables où l’on passe des propos du narrateur à des dialogues. J’admire aussi cette curiosité pour la société du XVIIIe siècle et l’Inquisition, au temps où l’on pourchassait les pensées "différentes". On y croise soudards, sorcières, alchimistes. Sur fond d’ésotérisme, de mystère, et sous l’aile omniprésente de la mort – la peste –, on suit trois personnages: un homme mutilé, le manchot Baltasar Sept Soleils, sa femme, Blimunda Sept Lunes, qui sait lire les êtres, et un prêtre hors du commun, Bartolomeu de Gusmao. Ensemble ils décident de construire une machine pour pouvoir voler. Ce sont des êtres situés à l’opposé de la rigueur des religions et de la soumission.»


Anne Alvaro dit Antonio Machado
«Ma passion pour Antonio Machado – dont je dis les poèmes en espagnol – est née du désir du guitariste Pedro Soler qui m’a accompagnée lors d’une soirée Lorca à la Maison du Comédien, la demeure de Maria Casarès à Alloue. Pedro Soler avait travaillé avec Maria Casarès. Comment résister à sa proposition? Lire Antonio Machado m’apaise. C’est comme si je me réconciliais avec mes origines andalouses, via l’Algérie. Machado me raconte comment accepter l’oubli, le renoncement, comment ne rien garder jalousement. Son style est simplissime. En espagnol, ses mots sont du goutte-à-goutte: "Confusa la historia y clara la pena" ("L’histoire était confuse mais claire était la peine"). Les "coplas" de Machado deviennent comme des petits mantras. Ainsi cette phrase que tout le monde connaît et dont je ne me lasse pas: "Caminante, no hay camino, el camino se hace al andar" ("Il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en mar-chant").»

- enviado por Marccelus @ 9:16 PM





Arquivo
julho 2005
setembro 2005